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Son jardin est sa seule église. Elle ne s'embarrasse pas de théologie : elle voit la brise maternellement passer sa main fraîche sur le front enfiévré des roses, et elle en conclut ce que n'auraient jamais conclu les docteurs de l'Église confits dans leur prudente érudition : « L'amour que Dieu nous porte n'est pas semblable à celui des ours. »
L'auteur d'un manuel sur les fleurs d'Amérique du Nord parle avec la même ardeur de l'innocence des ronces et de la sauvagerie du ciel où personne n'entre de son vivant. L'enthousiasme de ce jardinier visionnaire la séduit. « Quand j'étais petite et que les fleurs mouraient, j'ouvrais le livre du docteur Hitchcock. Cela me consolait de leur absence et m'assurait qu'elles vivaient encore. » Les pissenlits – avec leurs caravanes solaires arrêtées partout dans les prés – sont ses fleurs préférées. Elle cueille un trèfle sur la tombe de son père et le met à sécher dans la Bible, sur ce passage de l'Épître aux Hébreux : « La foi est la garantie des biens que l'on espère, la preuve des réalités qu'on ne voit pas. »
Depuis l'enfance – jusqu'à son séjour chez Mary Lyon – Emily cueille les fleurs qui rêvent dans les bois et les collines autour d'Amherst. Elle les baptise de leur nom latin puis les couche sous une couverture de papier cristal, dans le dortoir de son herbier où dorment bientôt plus de quatre cents religieuses décolorées d'un autre monde : plusieurs fleurs sur chaque page encadrent la majesté d'une fleur centrale, leurs pétales à peine froissés et leurs tiges maintenues par de luisants papiers collés. En attente de l'époustouflant soleil de la résurrection, elles se souviennent des lumineux souffles de leur ancienne vie.